Retour sur le colloque enjeux de la #Cop21 pour la transformation des métiers

L'amphithéùtre Abbé Grégoire du CNAM pour le colloque Enjeux de la #COP21 pour la transformation des métiers et la conduite du changement
L’amphithĂ©Ăątre AbbĂ© GrĂ©goire du CNAM pour le colloque Enjeux de la #COP21 pour la transformation des mĂ©tiers et la conduite du changement

En ce bien triste vendredi 13 novembre 2015 (date dĂ©sormais marquĂ©e au fer rouge de l’intolĂ©rance, du rejet de l’autre, de la culture et de tout ce qui fait notre identitĂ© commune),  une vingtaine d’intervenants ont pu donner au CNAM, devant un amphithĂ©Ăątre rĂ©unissant plus de 200 personnes issues de 13 nationalitĂ©s, leur vision d’un monde, certes menacĂ© par le dĂ©rĂšglement climatique, mais oĂč un nombre sans cesse croissant d’acteurs sont pourvoyeurs de solutions et d’innovations pour un un dĂ©veloppement durable.

MĂȘme s’il est difficile de s’exprimer aprĂšs les terribles Ă©vĂ©nements que nous avons vĂ©cus, il m’est impossible de ne pas revenir sur les Ă©changes de cette journĂ©e d’Ă©change car ils sont une rĂ©ponse, je le crois, Ă  cette montĂ©e de l’intolĂ©rance et des pĂ©rils. Certes nous sommes confrontĂ©s Ă  des problĂšmes, mais de nombreuses solutions existent.

Avant un retour sur l’Ă©vĂ©nement plus complet je souhaitais vous communiquer le contenu de mon allocution d’introduction.

Je tiens Ă  remercier chaleureusement Olivier Faron, Administrateur GĂ©nĂ©ral du Cnam, Philippe Durance, Gilles Garel, les collĂšgues du dĂ©partement MIP et l’ensemble des intervenants pour nous avoir accompagnĂ© sur le pilotage scientifique de ce colloque et aussi la revue International Journal of Sustainable Development ainsi que le groupe Orange pour leurs soutiens.

Les 22 interventions qui se sont tenues pendant ce colloque donneront lieu à un numéro spécial de la revue International Journal of Sustainable Development.

Pascale de Rozario, Olivier Faron et Sylvie Faucheux
Pascale de Rozario, Olivier Faron et Sylvie Faucheux

Les dĂ©fis sont donc sans prĂ©cĂ©dents pour cette #COP21 qui se tiendra Ă  Paris entre le 30 Novembre et le 11 dĂ©cembre prochain. Elle doit parvenir Ă  un accord international permettant de contenir le rĂ©chauffement global en deçà de 2°C et s’appliquant, cette fois, Ă  tous les pays. En d’autres termes, il est indispensable de trouver le mode d’insertion des Pays en DĂ©veloppement, dont la Chine, qui ne sont pas contraints aujourd’hui dans le Protocole de Kyoto et de faire revenir les États-Unis dans le dispositif multilatĂ©ral ; sachant que ces deux pays pĂšsent pour plus de 42% dans les Ă©missions mondiales de GES.

Le dernier rapport datant de 2014 produit par le Groupe Intergouvernemenal d’Experts sur l’Evaluation du Climat (GIEC), encore plus alarmiste que les prĂ©cĂ©dents, confirme la nĂ©cessitĂ© d’agir sans tarder. Il Ă©tablit par ailleurs un lien entre les enjeux climatiques et les autres enjeux du dĂ©veloppement Ă©conomique et social en soulignant les bĂ©nĂ©fices globaux d’une politique ambitieuse de lutte contre le changement climatique. Il est de plus en plus Ă©vident que la transition vers une Ă©conomie de basse consommation en carbone, et plus gĂ©nĂ©ralement que la transition vers le dĂ©veloppement durable constitue une vĂ©ritable opportunitĂ© Ă©conomique avec un fort potentiel de crĂ©ation d’emplois.

Cette transition peut en effet s’interprĂ©ter comme une course Ă©conomique engagĂ©e par le biais de l’éco-innovation (L’Ă©co-innovation se dĂ©finit comme le processus de dĂ©veloppement de nouvelles idĂ©es, comportements et nouvelles organisations, nouveaux services, produits ou processus technologiques qui participent Ă  une rĂ©duction des impacts environnementaux ou correspondent Ă  des objectifs sociĂ©taux de durabilitĂ©, Klemmer et al., 1999) qui relĂšve d’innovations de rupture Ă  la fois technologiques, organisationnelles, de management, d’entreprenariat, de « business models ». Compte tenu de leur caractĂšre transversal Ă  de nombreux secteurs d’activitĂ©s et de leurs dĂ©bouchĂ©s multiples, les Ă©co-innovations constituent un enjeu, tant pour la lutte contre le changement climatique que pour la compĂ©titivitĂ© et la crĂ©ation d’emplois. Elles apparaissent comme une des « plus fortes opportunitĂ©s Ă©conomiques du XXIe siĂšcle » avec un marchĂ© mondial en plein essor.

Si l’éco-innovation est au service de la transition vers le dĂ©veloppement durable, la caractĂ©risation de l’ « économie verte » qu’elle induit, reste elle-mĂȘme un objet de dĂ©bat et donc de recherche dans toutes les disciplines. Pour les uns, le mot d’ordre est l’efficacitĂ© Ă©cologique, Ă  savoir, l’augmentation relative ou absolue des rendements de biens et de services par rapport aux pressions environnementales engendrĂ©es par les activitĂ©s de production et consommation. Pour d’autres, il s’agit de favoriser « l’économie circulaire » en multipliant les pratiques de recyclage et, en maĂźtrisant les qualitĂ©s nuisibles des ‘dĂ©chets ultimes’ non recyclables. Ainsi, en interprĂ©tant les processus du vivant, de l’atmosphĂšre, de l’hydrosphĂšre, voire de la terre, comme des « agents » de ce mouvement circulaire, on parvient Ă  un Ă©largissement des frontiĂšres de « l’économique » jusqu’à la biosphĂšre toute entiĂšre. Les consĂ©quences en termes d’interrogations scientifiques en Ă©conomie, en sciences pour l’ingĂ©nieur, en sociologie, en sciences de gestion ou encore en philosophie sont Ă©normes.

Tous les secteurs Ă©conomiques, y compris ceux des services, notamment avec l’économie de la fonctionnalitĂ©, sont interpellĂ©s par cette transition. Les Ă©co-innovations touchent progressivement l’ensemble des secteurs : les systĂšmes Ă©nergĂ©tiques, les modes de production et de construction, la mobilitĂ©, la conception et la gestion des bĂątiments, des villes et des territoires ou encore la logistique, la gestion des dĂ©chets et de l’eau ainsi que l’agriculture... Les Etats-Unis, le Japon, l’Allemagne, la Grande-Bretagne, l’Europe du Nord, la Chine et aussi la France mobilisent des efforts croissants de R&D en ce domaine, associant recherche acadĂ©mique pluridisciplinaire, recherche privĂ©e et collectivitĂ©s territoriales pour accueillir des dĂ©monstrateurs. Nombre de pays et de grands groupes industriels opĂšrent une veille/prospective internationale sur les marchĂ©s, les mĂ©tiers et les emplois de demain en matiĂšre de transition vers le dĂ©veloppement durable.

Le digital constitue un levier important en faveur de cette transition. Selon les grands exercices de prospective internationaux, nombre d’éco-innovations sont liĂ©es aux avancĂ©es des systĂšmes intelligents dans tous les secteurs (smart grids, smart mobility, smart buildings, etc
) dont la principale intĂ©gration passe par la ville ou plus largement les territoires intelligents. La Silicon Valley ne s’y pas trompĂ©e en se reconvertissant massivement dans les « Cleantech ».

Cette transition remet en question les origines mĂȘmes de la valeur et les conditions de sa rĂ©alisation. L’introduction des Ă©co-innovations de rupture modifie en profondeur le processus de crĂ©ation de valeur. Celui-ci, souvent reprĂ©sentĂ© sous la forme d’une chaĂźne de la production vers la consommation, voit sa dimension systĂ©mique renforcĂ©e avec des interactions nombreuses et, notamment, des « boucles » de recyclage et de rĂ©utilisation. Ainsi, le consommateur, qui traditionnellement revĂȘt un rĂŽle passif, peut Ă©galement devenir acteur, voire partenaire dans des filiĂšres originales de « l’économie circulaire ». Cela a des consĂ©quences pour la dĂ©finition des « facteurs de production » et pour les relations entre les acteurs Ă©conomiques.

Il n’est donc pas Ă©tonnant que cette transition soit considĂ©rĂ©e, pour certains, comme la « 3Ăšme rĂ©volution industrielle » (Jeremy Rifkin, « Engager la troisiĂšme rĂ©volution industrielle : un nouvel ordre du jour Ă©nergĂ©tique pour l’Union EuropĂ©enne, au XXIĂšme siĂšcle », Fondation pour l’Innovation Politique, 2008), avec une transformation colossale sur les mĂ©tiers. Si l’on en croit l’Organisation Internationale du Travail, une telle transition est susceptible de crĂ©er, au cours des prochaines annĂ©es, plus de 60 millions d’emplois au niveau international. L’Union EuropĂ©enne (2014) parle de 20 millions nouveaux emplois pour l’Europe d’ici 2030.

Mais dans le mĂȘme temps, cette transition dĂ©truira des emplois si aucune anticipation ou mesure n’est prise pour adapter les compĂ©tences aux Ă©volutions Ă  la fois des mĂ©tiers traditionnels et des nouveaux mĂ©tiers. C’est pourquoi, plutĂŽt que les polĂ©miques secondaires auxquelles on a assistĂ© lors des discussions sur la loi de la Transition EnergĂ©tique dans notre pays, la bonne question Ă  poser Ă  propos de la crĂ©ation de 100 000 emplois qu’elle entrainerait aurait Ă©té : mais oĂč sont les compĂ©tences pour y faire face ?

Pour la premiĂšre fois, le 17 juillet 2014, se sont rĂ©unis les ministres europĂ©ens du travail et de l’environnement prĂŽnant la voie de l’intĂ©gration des politiques environnementales et de l’emploi pour la stratĂ©gie Europa 2020 et dĂ©clinant cette nouvelle politique dans la communication Green Employment Initiative. La bonne nouvelle est que l’on semble prendre enfin conscience que les compĂ©tences ne sont pas automatiquement au rendez vous !

Mais, la mauvaise est qu’on n’a pas encore pris toute la mesure des actions Ă  mener pour y parvenir. Or, comme l’a dĂ©clarĂ© Achim Steiner (directeur exĂ©cutif du Programme des Nations Unies pour l’Environnement), il y a un peu plus d’un an  Lors du lancement du rapport « Tendances mondiales de l’emploi 2014 » « il faut un engagement des politiques publiques pour soutenir ces changements.»

DerriĂšre l’adhĂ©sion Ă  l’impĂ©ratif inĂ©luctable d’une transition vers le dĂ©veloppement durable apparaĂźt en effet la perspective Ă  la fois prometteuse et inquiĂ©tante d’un nouveau processus de crĂ©ation/destruction d’emplois. Elle a et aura des consĂ©quences directes sur l’emploi, les qualifications et les compĂ©tences ainsi que pour les entreprises. Les mutations dans les maniĂšres de produire et de consommer ont d’ores et dĂ©jĂ  commencĂ© Ă  se traduire principalement dans le secteur de la production d’énergie, par des transformations en profondeur des activitĂ©s.

Il s’agit alors d’analyser et d’anticiper les impacts de cette transition sur la transformation des mĂ©tiers et de proposer des rĂ©ponses, tant micro-Ă©conomiques, que macro-Ă©conomiques sans oublier la dimension sociale d’accompagnement de l’évolution des mĂ©tiers pour assurer la rĂ©ussite de cette transition. Contribuer Ă  relever de tels dĂ©fis, constitue l’objet mĂȘme de notre colloque qui rĂ©pond en cela Ă  une prioritĂ© nationale si l’on en juge, Ă  titre d’illustration :

C’est en rĂ©pondant Ă  ce dĂ©fi de transformation des mĂ©tiers qu’il sera possible de faire de cette transition vers le dĂ©veloppement durable, offerte par les politiques de lutte contre le changement climatique, un point d’appui pour renouer, au niveau international, avec une nouvelle trajectoire de croissance
 soutenable cette fois ! VoilĂ  quels sont les enjeux de la #COP21 que notre colloque entendait traiter, avec toute la modestie qu’est la notre.

La seule chose dont je suis encore plus sĂ»re aprĂšs l’horreur des attentats de Paris et Saint Denis, c’est que nous devons, plus que jamais, continuer, tous ensemble, chacun Ă  notre niveau, Ă  Ɠuvrer pour un dĂ©veloppement qui soit vraiment durable.