Une initiative importante semble être passée inaperçue, sauf pour les initiés : le lancement le 16 décembre dernier (avec date limite des dépôts de dossiers le 17 mars 2015) par le Ministère de l’Économie, dans le cadre du plan « Réseaux électriques intelligents », d’un appel à projets visant à mettre en place sur des campus universitaires des réseaux électriques intelligents expérimentaux pour en faire des plateformes d’innovation. Seul les projets reposant sur un partenariat entre des entreprises privées et des Établissements d’enseignement Supérieur et de Recherche seront retenus.
Importante pourquoi ? C’est la première fois que l’État prend lui-même l’initiative de promouvoir, de financer et donc de reconnaitre l’intérêt des campus universitaires en tant que démonstrateurs de la transition vers le développement durable et en l’occurrence ici, en faveur de l’efficacité énergétique.
Mais ce désintérêt de l’Etat pour insuffler des politiques de développement durable au sein des Établissements français d’Enseignement Supérieurs et de Recherche a fait long feu. Ces derniers ont du se prendre par la main et se lancer, de leur propre initiative et sur leurs propres fonds, dans le sillage du Grenelle de l’Environnement, au sein de la Conférence des Présidents d’Université (CPU) et de la Conférence des Grandes Ecoles (CGE) dans la signature d’une charte commune, en 2008, puis dans la constitution de Commissions Développement Durable . Ils ont ainsi élaboré eux-mêmes et sur la base du volontariat de certains, le Plan Vert Français (s’appuyant sur l’article 55 de la Loi de Grenelle d’août 2009) que tous les établissements d’ESR membres de ces instances ont adopté en juin 2010 .
« Les universités et grandes écoles françaises ont une mission d’exemplarité et d’accompagnement du changement par les politiques sociales, environnementales et économiques qu’elles mettent en place en leur sein, aux côtés de leur mission de formation et de recherche […] C’est notamment en privilégiant une vision systémique des établissements et en prenant en considération l’écosystème dans lequel elles évoluent que les universités et écoles formeront des citoyens responsables. »
— Discours de lancement du « Plan Vert » CGE/CPU
Ce travail, pionnier, mérite d’être salué, car grâce à lui, la France va enfin pouvoir arborer, elle aussi, son propre label national pour ses éco-campus : le label national Plan Vert, en cours de tests pour être déployé à l’ensemble de la communauté des universités et des Grandes Écoles en mars prochain.
Il était temps et il reste à espérer que cette labellisation aide à ce que les indicateurs du développement durable soient vraiment pris en compte, par exemple, dans les critères d’évaluation du Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur.
Aujourd’hui, seules les Grandes Écoles, ont eu la chance de voir récompenser leurs efforts en matière de développement durable, par l’intégration de ce critère dans plusieurs de leurs accréditations. En effet, des organes d’accréditation majeurs, comme EQUIS ou AACSB, font entrer de telles considérations dans leurs grilles d’évaluation. Pourtant des labellisations spécifiques existent au niveau international (ex AASHE-STARS, STAUNCH, EQUIS, QUESTE, etc…) et des classements internationaux (ex World University GreenMetric ) sont dédiés au développement durable qui devient un critère de différenciation dans la compétitivité et l’attractivité internationale des établissements d’Enseignement Supérieur et de Recherche dans le monde. Or, on ne peut qu’y déplorer la quasi absence systématique des établissements français. On peut aussi, en consultant l’ International Sustainable Campus Network , qui est un réseau international réunissant des établissements d’enseignement supérieur et de recherche du monde entier sur le thème du développement durable des campus, constater la présence d’un seul membre français.
Alors tant mieux si un vent de changement se lève ! Celui-ci n’est sans doute pas étranger à l’organisation de la COP 21 dans notre pays et à la forte volonté politique française d’apparaître comme un acteur majeur de la lutte contre les changements climatiques. Les Établissements d’enseignement supérieurs français doivent eux aussi briller durant cet évènement pendant lequel le monde entier aura les yeux rivés sur la France. D’ailleurs leur prochain Colloque « Eco-campus 3 » aura lieu les 15 et 16 Octobre 2015 et il leur est demandé de répertorier, pour la COP 21, toutes leurs bonnes pratiques et l’Etat devra alors montrer son engagement à leurs côtés. Et cet appel à projet « réseaux électriques intelligents dans les campus » participe à cet objectif.
Regardons d’un peu plus près de quoi il s’agit. Rendre un réseau électrique intelligent c’est déployer en parallèle de l’infrastructure de distribution électrique une infrastructure de calcul et de communication qui permet de trier, traiter, analyser et distribuer les données différentes au réseau et de les transmettre aux décideurs, consommateurs, décisionnaires des réseaux afin d’être plus réactifs, d’aligner la production aux besoins de consommations et d’accompagner le développement d’un mix énergétique. La Gestion de la demande d’énergie en fonction des usages devient plus efficiente. Cet appel à projet, en s’inspirant de ce qui existe ailleurs (ex : l’USC Smart Grid en Californie du Sud) a d’abord pour vocation de consolider les filières électriques et informatiques françaises sur de nouveaux marchés à forte croissance et créateurs d’emplois. Il s’agit pour les campus universitaires de devenir un terrain d’expérimentation des idées les plus avancées en matière de solution réseau électrique intelligent, constituer un réservoir de jeunes pousses, contribuer à l’image des réseaux électriques intelligents auprès des étudiants, développer des formations avancées sur ces sujets tout en étant un lieu d’échange, de partage et d’échanges entre les industriels et les académiques favorisant l’innovation pour les smart grids.
Cette initiative doit être saluée ne serait ce parce qu’elle offre aussi des solutions de réhabilitation énergétique de bâtiments universitaires existants (qui comme chacun sait sont pour beaucoup dans un triste état) et de nouveaux bâtiments dits intelligents; des réseaux électriques intelligents minimisant la facture énergétique et les émissions de gaz à effet de serre souvent très élevées dans les campus universitaires; des solutions favorisant la contribution thermique de façades extérieures ou encore des solutions améliorant la gestion des flux d’air.
Mais interrogeons nous et demandons nous, si en commençant son action en faveur du développement durable des campus par un soutien aux « smart grids », qui ne sont certes pas dénuées de vertu comme on l’a vu, l’Etat ne s’enferme pas dans une vision trop techniciste, voire technocrate, du potentiel des Technologies de l’Information et de la Communication aux campus ? Ne nous engageons nous pas dans une voie dont la conséquence sera que nous aurons, encore une fois, un train de retard ?
En effet, si on limite l’usage des systèmes intelligents dans les campus aux « smart grids », on aura certes considérablement avancé pour la dimension environnementale, mais on se sera privé d’aller plus loin comme certains déjà le font avec une vision d’apprentissage et de recherche collaborative reposant sur des systèmes d’innovation ouverts et favorisant des co-constructions de solidarités sociétales.
A la lumière des perspectives d’évolution des méthodes d’apprentissage et des possibilités offertes par les systèmes intelligents, le campus va s’orienter vers moins d’espace individuel et plus d’espace de partage. L’espace sera de moins en moins spécialisé et catégorisé : décloisonnement et flexibilité deviennent les mots d’ordre. Le concept d’apprentissage (actif, collaboratif et relativement autonome) se substitue à celui d’enseignement, l’espace passe du formel (auditoires, classes) à l’informel : apparition de centres d’apprentissage (Learning Centre) dans une série d’universités. Le Learning Centre est à l’apprentissage collaboratif ce que la bibliothèque est à l’étude individuelle et, en tout point, connecté aux réseaux virtuels où peuvent se connecter les outils fournis aux étudiants et aux corps enseignants leur permettant d’atteindre le maximum de satisfaction et de productivité : ordinateurs fixes ou portables, écrans, tablettes, tableaux interactifs, etc. Cela favorise les nouvelles approches pédagogiques dont nous avons tant besoin pour améliorer les résultats, les compétences et l’insertion professionnelle de nos étudiants: apprentissage par problèmes, collaborations, « Blended learning », etc. …Beaucoup d’exemples de ce type de campus peuvent être donnés dans le monde. Le Rolex Learning Center de l’Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne, ouvert en 2010 sur 20 000 M2 (grand comme deux terrains de football) en est un. Il s’agit d’un proto-type pour un projet encore plus ambitieux de campus intelligent et collaboratif qui sera mutualisé avec l’université de Genève. Des campus de ce type se trouvent à Singapour ou aux Etats Unis encore à l’Université de Warwick au Royaume Uni (M. Bouckaert & Sylvie Faucheux, « Le futur du campus universitaire face au développement durable : une perspective internationale », 2015, soumis à une revue internationale).
Mais alors c’est toute la conception du campus qui doit être revisitée et pas seulement celle de sa partie « smart grids ». Les campus dans leur entièreté deviennent des « Smart Community Campus ».
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