Les deux dernières semaines auront été riches en évènements liés à la question des changements climatiques avec : « l’appel de Manille » le 26 février dernier, largement médiatisé pour nous préparer à la COP 21 dont la France sera l’hôte en décembre prochain; le passage au Sénat beaucoup plus discret, du projet de loi sur la Transition énergétique le 3 mars; enfin la Commission Mixte Paritaire qui se réunit ce mardi 10 mars pour trouver un compromis, toujours pour ce projet de loi entre les propositions opposées de l’Assemblée Nationale et du Sénat. Il m’a alors semblé nécessaire, en complément de l’émission « C dans l’air », à laquelle j’ai participé le 2 mars dernier, de revenir sur ces sujets.
Pourquoi les enjeux de la COP 21 sont-ils si importants, en dehors du fait que celle-ci se passe dans l’hexagone ?
C’est à la suite de la première Conférence mondiale sur l’environnement et le développement en 1992 à Rio que la convention cadre des Nations Unies sur les changements climatiques a été soumise à l’ensemble des pays de la planète. Elle constitue le principal référent institutionnel à l’échelle mondiale sur lequel sont élaborées les politiques et mesures visant à lutter contre les perturbations du climat. Le suivi du respect des engagements au titre de la convention, l’organisation des politiques scientifiques, institutionnelles, financières ainsi que la construction du processus décisionnel sont conçus au sein de la conférence des parties (COP en anglais) constituant le lieu de regroupement de l’ensemble des activités relatives à l’organisation et à la coordination de la politique globale de lutte contre les changements climatiques. Elle rassemble la totalité des pays signataires appelés « les parties » à la convention. Pour ce faire la COP sollicite l’expertise scientifique du Groupe Intergouvernemental d’Experts sur l’Evaluation du Climat (GIEC et IPCC en anglais) instauré en 1988 par les Nations Unies et l’Organisation météorologique mondiale.
Dans ce cadre, le protocole de Kyoto, élaboré en 1997, définit pour la première fois des engagements chiffrés de réduction des émissions. 188 pays signataires de la convention cadre des Nations Unies ont signé ce Protocole à Kyoto. Beaucoup moins l’ont ratifié, à commencer par les États-Unis qui sont sortis du dispositif de Kyoto, lors de la COP 6 à Bonn, en 2001. Il est néanmoins entré en vigueur le 16 février 2005. Le succès d’un tel système requiert une coordination de l’action collective internationale, non seulement pour contrôler les engagements pris, comme le Protocole l’impose depuis 2008, mais également pour la négociation sur l’après 2012, date à laquelle il devait expirer à la faveur d’un nouvel accord, un nouveau Protocole dont l’entrée en vigueur était prévue pour 2020. Or, les COP successifs ont depuis échoué à trouver un nouvel accord.
Voilà pourquoi la COP 21 à Paris revêt un tel enjeu politique, non seulement pour la planète, mais aussi pour le Président de la République qui ambitionne de parvenir à trouver le consensus nécessaire pour réussir là, où beaucoup d’autres COP ont échoué, et sortir avec ce qui pourrait être le “Protocole de Paris” : l’accord international, le plus ambitieux jamais signé, pour contenir le réchauffement de la planète à +2 °C, à l’horizon 2050.
La France a été désignée pays de la 21ème conférence climat en 2015 lors de la COP 19 à Varsovie. Elle se doit d’accueillir pendant deux semaines, dans les meilleures conditions, la plus grande conférence mondiale jamais réunie sur son territoire : des milliers de délégués et d‘observateurs sous les auspices des Nations Unies. La tenue de l’évènement se fera au Bourget. Elle devra aussi, dans son rôle de Présidence de la COP21, être un facilitateur auprès de toutes les parties, rapprocher les points de vue et permettre une adoption de l’accord à l’unanimité.
Les défis sont sans précédent car cette COP 21 doit parvenir à un accord international sur le climat qui permettra de contenir le réchauffement global en deçà de 2°C, limite au-delà de laquelle les catastrophes ne seraient plus gérables selon le dernier rapport du GIEC. Il s’agit alors d’obtenir un accord ambitieux qui s’appliquerait, cette fois, à tous les pays. En d’autres termes, il est indispensable le trouver le mode d’insertion des Pays en Développement, dont la Chine, qui ne sont pas contraints aujourd’hui dans le Protocole de Kyoto et de faire revenir les États-Unis dans le dispositif multilatéral ; sachant que les Etats-Unis et la Chine pèsent, à eux deux, pour plus de 42% dans les émissions mondiales de CO2 !
La première période d’engagement du Protocole de Kyoto, qui s’est achevée en 2012, a bel et bien vu une baisse des rejets de certains pays développés, mais elle a connu dans le même temps l’explosion de ceux issus des pays émergents, Chine en tête. Il faudra donc, pour la COP 21, obtenir les contributions nationales (INDC) représentant l’effort que chaque pays pense pouvoir réaliser. L’énergie est bien sûr au cœur des négociations puisque les pays doivent prévoir leurs besoins et la manière dont ils produiront leur énergie dans 10 ou 20 ans. Il s’agit d’une demande difficile pour les pays en développement, dont le ressentiment est en partie orchestré par la Chine, faisant valoir leurs besoins énergétiques pour se développer.
C’est pourquoi, le Financement est aussi un point d’achoppement entre le Sud et le Nord, lequel a promis, lors de la COP 15 de 2009 à Copenhague, de constituer un Fonds Vert à hauteur de 100 milliards d’euro à l’intention des projets des pays en développement. Aujourd’hui nous en sommes à peine à 10 milliards, dont un milliard de contribution de la France. Or, il est impératif de mobiliser les pays pauvres qui sont souvent les moins responsables du changement climatique tout en étant pourtant les plus durement touchés par ses conséquences avec des réfugiés climatiques (estimés à 32 millions aujourd’hui) qui ne cessent de venir grossir les rangs des réfugiés politiques (estimés à 50 millions aujourd’hui).
Le Pari n’est pas gagné d’avance et, même si l’on obtient un accord, il n’est pas exclu que ce soit sur la base d’un consensus mou, d’un plus petit dénominateur commun…. et pourtant !
Si le Président de la République joue son avenir politique lors de la COP 21, la planète, quant à elle, semble jouer son avenir tout court car sans cet accord le monde risque de connaître un réchauffement qui l’exposera à des catastrophes encore bien plus considérables que celles que nous avons connues. Selon le 5eme rapport du Groupe d’Experts Intergouvernemental sur l’évolution du Climat (GIEC) publié en 2014, si nous ne parvenons pas à un accord contraignant, au rythme des émissions de GES, nous risquons une augmentation de la température : + 4,8°C à l’horizon 2100, alors que celle-ci a cru de + 0 ,84 °C entre 1880 et 2012. Parmi les conséquences les plus drastiques : l’élévation du niveau moyen mondial de la mer de +98 cm d’ici la fin du siècle (contre +20 cm depuis le début du XXème siècle) alimentée par la fonte des glaces polaires du Groenland et de l’Antarctique de +990 millions de tonnes par jour en moyenne sur la dernière décennie ; de nouvelles sécheresses et inondations avec la flambée des prix alimentaires ; la disparition d’au moins 30% des espèces à l’horizon 2050 ; la multiplication des épidémies virales (une infection nouvelle est découverte tous les seize mois depuis les années 2000 contre une tous les 15 ans dans les années 1970)…
Ce sont donc deux décennies de négociations climatiques aujourd’hui enlisées qui attendent un nouveau souffle lors de la COP 21 !
Et pourtant les actes politiques tant aux niveaux international que national peinent à suivre !
Dans un excellent ouvrage publié la semaine dernière (« Gouverner le Climat » Presses de Sciences Po), Stefan Aykut et Amy Dahan montrent, entre autres, que jusqu’à présent la gouvernance climatique n’a pas eu de prise réelle sur les véritables causes du problème climatique. Les changements climatiques sont avant tout les fruits d’une augmentation nette des émissions de GES depuis la première révolution industrielle et le recours systématique aux énergies fossiles. L’inertie de ce “modèle” est depuis les années 80 aggravée par la financiarisation de l’économie mondiale, fait déterminant pour la trajectoire des pays en développement. Le défi ne consiste pas à déterminer des limites d’émission en alignant des chiffres abstraits comme la limite des 2 degrés (qui semble tout autant une chimère que le déficit à 3% du PIB !), mais davantage à penser et à définir une économie mondialisée et un mode de développement sobres en carbone…En d’autres termes, la solution consisterait à revenir tout simplement sur les fondamentaux du développement durable là où nous les avons abandonnés dans les années 1980. Or, les règles et les formes de l’économie mondiale se jouent dans des arènes comme l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) où il n’est pas question de climat. Tout se passe comme si les grandes COP annuelles n’avaient aucun impact sur les réunions annuelles de l’OMC, deux mondes parfaitement étanches !
Ainsi est-il impossible de prendre des mesures protectionnistes pour des raisons climatiques. De la même façon, les mêmes qui se gargarisent avec l’importance de la COP 21, traitent parallèlement du traité transatlantique de libre échange qui ne se préoccupe en aucun cas du climat…alors qu’il déterminera l’essentiel des changements climatiques pour les prochaines décennies. C’est ce hiatus que les deux auteurs cités précédemment qualifient de « schisme de réalité ».
Quant aux actes concrets, dans notre pays qui devrait pourtant se montrer exemplaire au regard de la volonté du Président de la République et de notre responsabilité dans la COP 21, ils ne se semblent pas non plus très encourageants. Il suffit d’en juger par les affres dans lesquels se débat le projet de loi sur la Transition Energétique. Cette dernière, après que ses ambitions aient été déjà réduites, lors de son adoption par l’Assemblé Nationale en octobre 2014, où par exemple, la question de la fiscalité écologique devant se substituer en partie à la fiscalité sur l’emploi (et de ce fait pouvant offrir l’opportunité d’un double dividende améliorant à la fois les questions environnementales et de l’emploi) avait été purement et simplement abandonnée, se retrouve en pleine tourmente après son passage au Sénat la semaine dernière. A l’issue de 9 jours de débat houleux et du dépôt de 1000 amendements, dont 899 ont été examinés en séance publique, certains objectifs, comme la réduction de 20% de la consommation d’énergie finale en 2020 où la baisse de la part du nucléaire à 50% de la production d’électricité en 2025, ont disparu dans le texte amendé par les sénateurs ; d’autres ont été ajoutés, notamment sur la rénovation des bâtiments, les transports propres ou la biomasse.
Toujours est-il que le résultat est loin de faire l’unanimité si l’on en croit le collectif des « Acteurs en Transition énergétique » qui rassemble plus de 200 entreprises et groupements professionnels, collectivités et associations de collectivités, syndicats, ONG et associations et qui considère que la loi de transition énergétique est vidée progressivement de son ambition.
Et maintenant que va devenir le projet de loi sur la transition énergétique adopté en première lecture par les sénateurs? Le Sénat ayant largement remanié le texte approuvé par l’Assemblée nationale, il revient à une commission mixte paritaire (CMP) composée de sept parlementaires de chacune des deux Chambres, désignés à la proportionnelle des différents groupes politiques, de tenter d’élaborer une rédaction convergente. Cette tentative de conciliation aura lieu ce mardi 10 mars, à huis clos. Là encore, il y a tout lieu de penser que le texte qui en ressortira (s’il en ressort car faute de consensus la décision peut être reportée de plusieurs mois) ne sera pas celui dont l’ambition sera la plus grande….Or, comme, l’indique la Fondation Nicolas Hulot « La France ne peut pas se permettre une loi au rabais » !
Faut-il pour autant sombrer dans le pessimisme ambiant, le catastrophisme, le fatalisme et donc l’immobilisme ?
Comme nous y exhorte, Jacques Attali, ne soyons plus des « résignés –réclamants » car malgré ces désastres annoncés et malgré l’impuissance croissante des politiques et des Etats, il existe un fourmillement de « signaux faibles » qui indiquent que nombre d’initiatives et de changements émanent d’individus, d’entreprises, d’associations, de collectivités qui ne se résignent pas à attendre ou à réclamer mais prennent leur destin et en même temps notre destin collectif en main. Et dans ce blog, j’essaie progressivement de présenter et discuter toutes ces innovations en marche : innovations technologiques, innovations organisationnelles, innovations de services, nouvelles formes d’entreprenariat, nouveaux « business models », innovations pédagogiques, nouvelles organisations de la recherche, etc.…La « Renaissance » est quelque part en marche. L’Histoire peut nous être d’une grande utilité. Nos sociétés semblent dans une situation, comparable à ce que l’Europe a connu au XVème siècle avec son lot de conflits, d’épidémies, de bûchers, de violences et d’intolérance. Bien des écrivains et commentateurs de l’époque prédisaient que le XVIème siècle serait encore pire…. Et pourtant au même moment on aurait pu déceler des « signaux faibles » révélant toutes les promesses de la Renaissance……. Alors oui des solutions existent à condition que nous cessions d’être des « résignées réclamants » comme l’écrit si bien Jacques Attali pour devenir des acteurs de cette transition vers ce qui peut devenir une nouvelle Renaissance….
Pour ce faire Jacques Attali nous propose un nouveau pari à la Pascal qui nous donne matière à méditer. Rappelons que Pascal (1623/1662) avait proposé, de faire le pari de croire en Dieu indépendamment de toute révélation ; de croire sans preuve ; parce que selon lui, nul n’a rien à perdre : s’Il n’existe pas, on ne sera pas puni d’y avoir cru ; s’Il existe, on sera peut-être récompensé de l’avoir honoré. La proposition est d’agir de même aujourd’hui sur un autre plan : faire le pari de prendre le pouvoir sur le cours des évènements, de devenir acteur parce que, quelle que soit l’hypothèse, on a tout à y gagner. Soit, les décideurs, ne seront pas à la hauteur des enjeux ; alors chacun aura agi à temps pour suppléer pour lui-même au moins à leur impuissance. Soit, les décideurs se décideront enfin à affronter les enjeux écologiques, sociaux et économiques, en d’autres termes les enjeux du Développement Durable. Là de deux choses l’une : soit ils échoueront, ce qui nous ramènera au cas précédent ; soit ils réussiront, et personne n’aura rien perdu à s’inscrire, par son initiative personnelle dans la résolution, entre autres, des changements climatiques et plus globalement dans l’entrée d’une nouvelle société fondée sur les principes du Développement Durable.
3 plusieurs commentaires
Pingback: Une initiative « COP 21 » originale en faveur des solutions pour lutter contre le changement climatique : un tour de France à la voile pour le climat initié par Catherine Chabaud | Le blog de Sylvie Faucheux
Pingback: Les entrepreneurs sociaux ont le moral…et des résultats ! | Le blog de Sylvie Faucheux
Pingback: Quel modèle d’agriculture intelligente et durable voulons nous ? | Le blog de Sylvie Faucheux