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Le numérique est-il garant de la cohésion sociale ?

L'édition 2015 de Futur en Seine propose un village des innovations en lien avec la transformation numérique

L’édition 2015 de Futur en Seine propose un village des innovations en lien avec la transformation numérique

Au moment où va se tenir les 11-14 juin prochains la 6ème édition de Futur en Seine, le plus grand festival européen dédié au numérique, avec un village des innovations accueilli par le CNAM, la question qui me vient à l’esprit est la suivante : la généralisation du numérique nous fera t-elle basculer dans une société présentant davantage de cohésion sociale ? Cette question me semble importante car, avec la #COP21 et la recherche des solutions aux changements climatiques, via notamment les systèmes intelligents reposant sur la généralisation du numérique (smart grids, smart city, smart transportation etc…), l’accent est aujourd’hui mis davantage sur la réduction des émissions de CO2 que sur la dimension sociale du développement durable .

Le numérique peut constituer un formidable accélérateur du développement social à condition d’y avoir accès avec le très haut débit pour tous par exemple, et de maîtriser a minima les savoirs faire pour les manipuler. La formation à son usage et aux technologies qu’il implique s’avère un enjeu éducatif qui n’est pas sans rappeler, par certains côtés, ce qui a pu être, il y a plus d’un siècle, la généralisation de la lecture et de l’écriture dans les pays occidentaux. De même, ses conséquences en matière culturelle vont certainement bien au-delà de la transformation de notre modèle économique. En effet, la généralisation du numérique à la planète peut conduire à une société très homogène du point de vue culturel en gommant progressivement toute sa diversité, ou au contraire renforcer la cohésion des communautés locales. Malgré l’usage de langues comme le japonais dans le développement de logiciels et d’interfaces, la majorité des informations sur Internet sont en anglais et originaires des États-Unis. La généralisation du numérique tend a priori à accélérer une tendance qui est un symptôme de la globalisation. L’impact réel sur la diversité linguistique et culturelle demeure encore inconnu. Des contre-tendances existent. De nouveaux types de diversité culturelle peuvent se faire jour dans le cyberespace. Internet peut aussi être utilisé par des cultures et des communautés menacées. A titre d’exemple, le cornouaillais est une langue parlée uniquement par quelques centaines d’individus dans le monde, mais la communauté en ligne des personnes parlant cornouaillais publie une revue quotidienne et entretient un espace de discussion.

 

L’adoption généralisée du numérique dans la société peut favoriser la reconstruction de communautés locales, préalablement érodées. L’E-commerce, le télétravail, en réduisant le temps perdu dans les transports, incitent les individus à passer davantage de temps dans leur famille et dans leur communauté locale. La revitalisation des communautés locales relève bien des aspirations des politiques de développement durable. Ce dernier vise en effet à vivifier les échanges du global au local et du local au global. Le 21ème siècle est celui de l’échelle planétaire, tant par les défis à résoudre collectivement, comme l’illustre parfaitement la #COP21 avec le défi mondial du changement climatique, que par les modes d’échanges et la quantité d’informations consommées par un nombre croissant de citoyens.

Or, l’adage « du local au global et du global au local », au cœur du développement durable, trouve avec le numérique une traduction de poids pour contourner les inerties institutionnelles, quand les alertes répétées, tant environnementales que sociales, appellent à des mutations urgentes.

Dans les domaines les plus sensibles d’une gestion nationale, comme l’éducation ou la santé, le numérique ouvre des perspectives jusque là inédites dans des régions où les moyens sont rares et où la topographie constitue une entrave à la communication. La question du territoire est posée dans la mise en œuvre du développement durable. Le plus pertinent est forcément celui, qui tout en gardant une dimension humaine géographique, permet tout de même le partage des moyens. Cette question renvoie alors à celle du libre accès au numérique sur l’ensemble des territoires et sur l’importance des politiques sachant lier numérique et développement durable. La généralisation des processus dérivant de la production, de l’utilisation et de l’application du numérique, est susceptible de modifier profondément les modes d’organisation des territoires dans des sens totalement contrastés. Elle peut en effet favoriser l’éclatement géographique des activités et de l’habitat (e-business, e-travail, e-commerce, etc..). et donc aller dans le sens du renforcement des communautés locales, mais elle peut aussi accompagner et même conforter un processus général de métropolisation, de concentration des activités et de polarisation de l’espace. Tout dépend là encore du libre accès du numérique et de son utilisation sur le territoire.

Le numérique est susceptible de modifier la pratique de la démocratie en réorganisant les niveaux de parole des citoyens et des experts et en suscitant des nouveaux points de vue, l’émergence et la diffusion d’une démocratie beaucoup plus participative et d’une éthique collective partagée. Gilles Berault [1] considère, par exemple, que comme à l’aube de la Renaissance, une page de notre société est en train de tourner. Cette fois, il ne s’agit pas d’un pays ou d‘un continent, mais de la planète entière dont il est question. Aujourd’hui, grâce à la généralisation du numérique émerge un citoyen du monde, avec des identités multiples, individuelles et collectives, dans une communauté globale interconnectée, enrichie à la source d’un imaginaire collectif et d’une conscience à la fois lucide et responsable: un écosystème global où tout est lié et interdépendant. Le numérique offre ainsi l’opportunité de partager l’intelligence et de construire une société de la connaissance, de piloter plus efficacement le vaisseau Terre et de faire germer la citoyenneté du 21ème siècle.

Toutefois si certains sont privés du plein droit d’accès ou de son contrôle, notamment via internet, ou si un manque d’acceptabilité sociale s’établit alors le droit n’est plus exercé et le numérique ne constitue plus un instrument de démocratie possible. C’est pourquoi, là encore, la généralisation du numérique peut tout aussi bien conduire à un renforcement des démocraties ou favoriser l’émergence de modèles dictatoriaux. A cet égard l’exemple de pays qui imposent des restrictions dans l’usage du numérique et de son contenu est révélateur. Réciproquement si aucun contrôle n’est exercé est-il encore possible de parler de démocratie ? En effet, si des règles ne sont pas instaurées afin de sécuriser les données individuelles, commerciales ou pouvant être jugées comme confidentielles et afin de limiter les dérives d’usage à des fins de propagandes anti-démocratiques ou criminelles y a t-il encore démocratie ? Enfin à cause des coûts d’achat des équipements et des frais d’utilisation qui sont encore prohibitifs, le numérique demeure inaccessible à des milliards d’individus, notamment en Afrique, en Asie et en Amérique Latine.

Plus que jamais, le numérique constitue un nouveau mode d’accumulation et de transfert des savoirs et des richesses. En être privé, condamne à être exclu de cette étroite interdépendance qui gère désormais tous les échanges de par le monde. Les deux variables clés en fonction desquelles la généralisation du numérique conduira ou non à une société inclusive et participative, sont celles de la fracture numérique et de la gouvernance d’Internet. Le réseau des réseaux est désormais une matière politique à part entière. Son aménagement territorial et celui de son dispositif de régulation, risquent d’être dans les années à venir l’objet de négociation, voire de conflits, notamment entre les États-Unis qui détiennent un pouvoir exorbitant sur celui-ci, les autres pays et les opérateurs économiques. Cette dimension sociale revêt donc une importance cruciale pour la réussite de toutes les innovations issues du numérique [2]. Il est à noter que de telles questions sont abordées dans le cadre du Digital Forum Society du groupe Orange et ses ateliers collaboratifs.

 

[1] Berhault. G., 2009,Développement durable 2.0 ; l’Internet peut-il sauver la planète ? Edition de l’Aube

[2] S. Faucheux, C.Hue, I.Nicolaï, TIC et Développement Durable. Les conditions du succès, de boeck, 2010.

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