Christine Bénard est physicienne. En tant que chercheur au CNRS de 1966 à 1999, elle a en particulier créé, il y a 30 ans, le laboratoire FAST (université d’Orsay-CNRS) toujours actif au croisement entre la mécanique, la thermique, le contrôle des systèmes et les sciences des matériaux, pluridisciplinarité vitale pour de nombreux procédés industriels.
Directrice de la recherche et des études scientifiques à l’École Normale Supérieure de 1991 à 1999, où elle créa un concours d’entrée européen, elle a ensuite été membre du cabinet du ministre de la recherche en 2000-2001 puis conseillère pour la science et la technologie (responsable du service scientifique) à l’ambassade de France à Washington de 2001 à 2005.
En 2005, elle est devenue la directrice scientifique du Groupe Michelin, responsabilité qu’elle a occupée jusqu’en 2011. Depuis lors, elle est active dans de nombreux Conseils d’administration et Conseils scientifiques dans le secteur public et le secteur privé. Compte-tenu de ses nombreux contacts dans les grandes entreprises, elle mène une réflexion sur les stratégies de ces dernières vis à vis du climat et du développement durable
Elle revient pour nous sur les grands thèmes du livre qu’elle vient de publier avec Dominique Lévesque, chercheur au laboratoire de physique théorique de l’université Paris XI.
Vous publiez avec Dominique Lévesque « La poutre et la paille écologiques » avec un sous-titre quelque peu provocateur « l’industrie à la rescousse du climat ». Une posture iconoclaste ?
La posture iconoclaste est plutôt celle de mon éditeur, son but étant bien sûr que le livre (1) soit remarqué par les médias. Quant à moi je ne cherche pas à faire de la provocation. Bien au contraire, ce qui me guide dans ce livre c’est la recherche de solutions. Notre approche dans ce livre est donc d’analyser les faits, nullement de débattre ou d’affirmer sans fondement.
Comment en êtes-vous arrivé à traiter cette question sous cet angle particulier ?
Nous savons tous que les enjeux du climat et du développement durable sont considérables et pressants (2). D’autant plus que nous croissons en nombre, en urbanisation et en niveau de vie. Pour y répondre, c’est maintenant. Il faut donc faire appel à tous les acteurs tels qu’ils sont, sans rêver de je ne sais quelle révolution.
Je ne crois pas aux miracles, ni à une prise de conscience des citoyens des pays riches qui renonceraient à leur surconsommation tout en éradiquant la pauvreté qui s’installe chez eux, ni à celle des citoyens des pays en développement qui renonceraient à leur rêve de consommation occidentale. Parmi les quelques acteurs opérationnels aujourd’hui qui soient à la taille des enjeux, il y a les grandes entreprises industrielles. C’est donc, en toute logique, à elles que nous nous sommes adressés dans ce livre.
Selon vous l’industrie a un rôle prépondérant à jouer dans la préservation du climat, pourriez-vous nous en dire plus ?
Le poids des entreprises industrielles sur le climat et l’environnement ne doit pas seulement être défini par l’impact direct de leurs activités de fabrication (émissions polluantes de voisinage dans l’air et l’eau par exemple). L’impact de l’utilisation de leurs produits par les citoyens que nous sommes est bien plus considérable que l’impact de leur fabrication: la façon dont nous nous logeons, dont nous nous déplaçons et une bonne partie de nos modes de vie sont déterminés par les produits que fabriquent les entreprises industrielles: il faut savoir que c’est l’usage de l’habitat (3) et des transports (4) qui est de loin la première source d’émission de gaz à effet de serre, au niveau mondial comme au niveau d’un pays comme la France (5). Ceci explique pourquoi nous nous sommes beaucoup intéressés dans ce livre aux secteurs des transports, du bâtiment et de la construction.
Notre point de vue sur le rôle déterminant des entreprises industrielles n’est d’ailleurs pas différent de celui des promoteurs des grandes conférences internationales sur le climat, qui se succèdent depuis 20 ans: les règlementations que ces conférences encouragent les États à mettre en place ciblent essentiellement les performances énergétiques et environnementales de l’activité et des produits de l’industrie. Durant les 20 dernières années, c’est grâce à ces règlementations que les grandes entreprises industrielles du bâtiment, des transports ou de la chimie ont considérablement amélioré leurs performances en termes d’émissions de gaz à effet de serre, affichant des réductions de leurs émissions par tonne de produits de l’ordre de 20 à 30% (6). Et même si la croissance et donc l’augmentation des volumes produits est importante, ces gains sont autant de centaines de millions de tonnes de CO2 qui ne sont pas émises.
Ces résultats ont d’abord été obtenus grâce aux règlementations et aux coûts entrainés par leur non-respect. Mais il est clair que quelque chose d’autre se joue aujourd’hui dans la réactivité des entreprises vis à vis des enjeux du climat et du développement durable: ces enjeux leur ouvrent un nouveau champ considérable d’opportunités. Opportunités qui s’appuient sur l’innovation et sur la création de nouveaux marchés. C’est ce qui transparait clairement dans les différentes interviews que nous avons menées avec une douzaine de grandes entreprises industrielles, dans notre livre.
La prochaine étape selon vous pour un rapport harmonieux entre climat et industrie ?
Je ne sais pas si j’emploierais l’expression « rapport harmonieux » pour décrire les fonctionnements de l’économie en général, actuels ou potentiels…Concernant les évolutions qui nous préoccupent ici, je dirais plutôt que nous sommes passés de l’ère où la punition était le seul « driver » à celle où de nouvelles perspectives, positives, se sont ouvertes pour les entreprises et ont transformé leur façon d’envisager les enjeux du climat et du développement durable.