Cryptomonnaie et soutenabilité : entre opportunités et menaces

 

Cryptomonnaies : opportunité(s) ou menace(s) ?

Le 7 Mars dernier, nous accueillions, dans le cadre des Matinées de l’IHFI (l’Institut de Haute Finance) de l’IFG Executive Education du groupe INSEEC U, une table ronde sur le thème : « Les cryptomonnaies : opportunités et menaces ».

Deux intervenants prestigieux Jean-Claude TRICHET, Président de la commission trilatérale (Europe) et du Conseil d’Administration de l’Institut Bruegel et Lionel ZINSOU, Président du Think Tank Terra Nova et co-Fondateur du SouthBridge y ont débattu. L’animation était assurée par le Professeur Philippe Dessertine, Directeur de l’IHFI et membre de Haut Conseil des finances publiques.

Plus de 200 personnes étaient réunies à Paris, dans l’un des amphis du Campus Eiffel d’INSEEC U, et une cinquantaine de personnes participaient également à cet évènement depuis une salle à Abidjan. Enfin 250 personnes ont suivi individuellement à distance ces échanges.

Les discussions ont été particulièrement riches et je vous invite à en prendre connaissance de manière extensive en visionnant le podcast de l’IHFI.

Bien entendu, la question du développement durable n’était pas au centre de cette matinée, mais beaucoup de sujets abordés, même rapidement, m’ont directement interpellée sur les relations que peuvent entretenir ces deux thématiques. Et puis les sujets du « réel » et du « monétaire », qui revenaient bien évidemment régulièrement, m’ont ramenée à la fin des années 1980, au moment où je finissais ma thèse sur « l’articulation des évaluations monétaires et énergétique en économie ».  Alors, aujourd’hui c’est au sujet de l’articulation de la crypto monnaie et du développement durable que je vous propose de réfléchir avec beaucoup de modestie.

La crypto-monnaie de quoi s’agit-il ?

Une cryptomonnaie peut s’appréhender comme une monnaie virtuelle protégée par de très nombreux codes d’accès. Elle s’appuie sur notre système actuel d’hyper-connexion des réseaux informatiques à une échelle globale. Elle n’a de valeur réelle dans aucun pays et n’a donc ni cours légal, ni équivalent en monnaie fiduciaire. Lors de chaque transaction (vente ou achat) réalisée, l’utilisateur doit mobiliser des équations mathématiques extrêmement complexes. Les crypto-monnaies s’affranchissent des banques et ont mis en place une sorte de livret de compte, transparent et accessible à tous, afin d’obtenir la confiance des utilisateurs. C’est ce qu’on appelle la blockchain.

Plusieurs cryptomonnaies co-existent depuis leur « création » (en janvier 2009) en réponse à la crise financière de 2008, mais aucune n’avait été réellement et mondialement considérée avant le « Bitcoin » qui a fait son entrée fracassante à la bourse de Chicago en décembre 2017. Il est le premier système entouré par une blockchain opérationnelle et d’une grande fiabilité relative même si des hackers procèdent régulièrement à des attaques.

Cryptomonnaie et soutenabilité sociétale

La cryptomonnaie, en faisant figure de système de transactions digitales de pair à pair, se développe indépendamment des banques et des infrastructures institutionnelles quelles qu’elles soient. C’est pourquoi certains y voient un caractère éminemment « démocratique », voire de gouvernance participative.

Pour beaucoup ces cryptomonnaies se seraient développées en opposition au système financier traditionnel qui a conduit à la déroute des millions de ménages avec la crise des subprimes de 2008.  Le procédé blockchain permet en effet la démultiplication et le stockage de chaque information derrière les transactions de la crypto-monnaie vers tous les serveurs connectés au système, rendant à la fois les informations presque impossibles à falsifier et accessibles à « tous » plutôt que de n’appartenir qu’aux banques ou aux institutions vis-à-vis desquelles une certaine défiance s’est fait jour. Tout individu peut en théorie créer une ligne de code donnant naissance à une transaction de cryptomonnaie et la sécurisant.

Or, n’importe qui, n’est pas à même de maîtriser ce système qui implique des compétences spécifiques en informatique/cryptographie, l’accès et la maîtrise des logiciels idoines ainsi qu’une énorme puissance de calcul. De plus en plus d’acteurs qui s’engagent dans cette voie mutualisent des moyens et des compétences au sein de data center qualifiés de « fermes de minage ». La puissance de calcul nécessaire à la formation de cette ligne de code est énorme. La sécurisation de la donnée l’impose. Chaque « mineur », en rétribution de sa participation, reçoit un pourcentage de celle-ci. Pour gagner davantage de  crypto-monnaie, les utilisateurs n’hésitent pas à investir dans des machines de calcul de plus en plus puissantes… C’est bien là que résident les risques de fraude et d’instabilité.

De telles fermes fleurissent un peu partout (Chine, Etats-Unis, Canada, Russie, Kazakhstan…). Et évidemment sans aucun contrôle a priori d’un État ou d’une banque centrale. Certains y voient même une forme moderne de la ruée vers l’or avec tous les risques qui en découlent de main mise de réseaux mafieux, voire terroristes.

S’ajoute à cela le manque à gagner pour les finances publiques et donc pour la cohésion sociale de tous les flux de financement via ces cryptomonnaies. Cela est particulièrement vrai pour les pays en émergence, notamment d’Afrique, en manque de liquidité et de structures de gouvernance fortes. Le miroir aux alouettes que peuvent représenter ces crypto-monnaies pour le financement de projet à court terme peut s’avérer dévastateur sur le plan sociétal à moyen et long terme. De même le rêve de « démocratisation » du système financier peut nous conduire à une situation pire que celle de la globalisation toute puissante du système financier actuel avec les mains mises sur le système de parties prenantes se présentant sous une forme diffuse et totalement opaque.

Crypto-monnaies et soutenabilité environnementale

Pour les individus impliqués dans le minage il s’agit de de proposer l’énergie de leur ordinateur afin que le processus blockchain puisse fonctionner en continu. Alors que fin 2017 et début 2018 découvrait les fluctuations vertigineuses du cours du bitcoin, des experts se sont intéressés à la grande quantité d’énergie nécessaire au fonctionnement de la crypto-monnaie.

L’étude en question met en lumière des chiffres alarmants en rappelant que les fermes de minage impliquent un turnover des matériels qu’il faut sans cesse renouveler pour garantir un niveau de performance optimal et une très importante consommation en électricité pour l’alimentation des machines et pour les systèmes de refroidissement, avec des conséquences néfastes pour l’empreinte carbone.

 

  • L’archivage des transactions nécessite chaque année une moyenne de plus de 30 milliards de kilowatts-heure, soit la production énergétique annuelle de 4 centrales nucléaires.
  • Le fonctionnement simultané de toutes ces machines entraînerait une consommation d’électricité dépassant les 42 Twh, soit 0.19%  de la consommation d’électricité mondiale. Pour mettre en alerte les internautes, ce site publie chaque jour des données chiffrées et illustrées d’exemples parlants. Le 17 janvier dernier, la consommation énergétique de cette crypto-monnaie était comparable à celle du Pérou tout entier, quelques jours plus tard à celle du Nigéria, puis de la Bulgarie.

 

Toutefois, de plus en plus de « mineurs » réfléchissent aux moyens de réduire l’impact écologique des cryptomonnaies dans une optique win win : baisse des coûts de production et limite de l’impact écologique. C’est ainsi qu’un projet au Kazakhstan de création de ferme s’installe dans une vraie mine désafectée dont les avantages sont : une température constante à 12° pour refroidir les machines, la proximité d’une centrale électrique et un isolement assurant la sécurisation des lieux.

Ainsi si l’on se veut optimiste, on peut penser que cette question devrait, à terme, trouver des réponses avec les politiques de transition énergétique qui se mettent en place un peu partout dans le monde favorisant les énergies renouvelables et notamment l’énergie solaire, sachant que la technologie de la blockchain est aussi celle qui permet la mise en place des systèmes de smartgrids.

Cryptomonnaie et soutenabilité économique

Paradoxalement le véritable côté « obscur » de la crypto-monnaie me semble concerner la dimension économique.

En parachevant la longue dématérialisation de la monnaie, elle participe à la rupture des derniers liens qui pouvaient encore exister entre les dimensions réelles et monétaires du système économique en ouvrant un peu plus la porte aux dérapages inflationnistes ou déflationnistes et encore davantage aux bulles spéculatives. D’ailleurs, l’Autorité européenne de supervision des marchés financiers (Esma) a alerté sur les risques de bulles spéculatives prêtes à exploser à tout moment liées à ces crypto-monnaies depuis le début de l’année 2018.

Pour beaucoup, plus qu’une véritable monnaie, la crytomonnaie n’est rien d’autre qu’un actif spéculatif qui attire de plus en plus d’investisseurs et dont la hausse alimente la hausse. À titre d’illustration, depuis sa création, le prix du bitcoin a pu être multiplié par 30 000, ce qui correspond à un taux de rentabilité annuel de 420%… un rendement fou !

La crypto-monnaie enfin ne remplit pas les 3 fonctions fondamentales de la monnaie telles qu’elles sont retenues depuis Aristote : instrument de mesure, instrument d’échange et instrument de réserve. Elle est fondée sur quelques principes simples: anonymat des transactions, décentralisation de son contrôle, convertibilité en dollars et en euros essentiellement. Mais elle n’a pas de valeur intrinsèque et encore moins de cours légal, c’est-à-dire qu’elle n’est pas reconnue et garantit par les autorités monétaires. De ce fait, elle ne remplit pas la fonction de réserve de valeur. La volatilité de son cours est son plus grave handicap de ce point de vue. N’étant pas reconnu par les autorités monétaires, ses détenteurs n’ont aucune certitude qu’elle vaudra autant d’ici quelques années. Alors comment peut-on faire confiance à une monnaie dont le cours peut perdre 25% en une seule journée ?

En conclusion

La question de l’articulation entre développement durable et crypto-monnaie se pose bien dans la mesure où ces deux phénomènes sont en devenir et participent à ces multiples transitions que nous sommes en train de vivre. L’un et l’autre ont recours à des innovations de ruptures, notamment à la la Block Chain et avec qui il faudra compter dans le futur. Auant de sujets sur lesquels nous aurons l’occasion de revenir.