Avec un tel titre j’ai bien conscience de faire figure, encore une fois, d’iconoclaste. Mais le vieux proverbe français « A quelque chose malheur est bon » datant du XVème siècle ne nous dit pas autre chose. Et cette citation de La Fontaine vient en écho de mon propos, si l’on veut bien entendre qu’à travers l’allégorie du sot c’est l’ensemble de l’Humanité dans sa trajectoire actuelle dont il est question dans mon propos.
« Quand le malheur ne serait bon
Qu’à mettre un sot à la raison,
Toujours serait-ce à juste cause
Qu’on le dit bon à quelque chose. »
— (Jean de La Fontaine, Le Mulet se vantant de sa généalogie, Fables, 1668-1694),
Coronavirus : une vraie crise, une vraie opportunité
Et si cette crise du Coronavirus, dont le malheur est indéniable, était finalement un tremplin pour la transition mondiale vers le développement durable dans ses différentes dimensions ? Le mot CRISE en Chinois est par ailleurs tout en nuance dans sa sémantique. Il est composé de deux caractères. Le premier caractère « danger » représente un homme au bord d’un précipice. Le second, souvent associé au vocabulaire des machines, signifie opportunité.
Opportunité sociétale en premier lieu : grâce à l’introspection individuelle et collective ainsi que l’élan de solidarité qu’elle permet avec un arrêt soudain de notre course effrénée qui nous amène à nous interroger sur nous-mêmes, le sens de la vie et celui de l’humanité. Pour le Philosophe Michel Dupuis, l’épidémie de coronavirus nous rappelle que, bon gré mal gré, nous formons un corps social intime et interdépendant. Le milieu de contagion de la maladie – l’air partagé – remet en question notre représentation de la société comme une juxtaposition de corps autonomes et séparés. « En cela, l’épidémie a en commun avec la question du climat qu’elle nous rappelle que nous sommes tous dans le même bain et que nous ne nous en sortirons qu’ensemble. Le désir de survie éveille ainsi une forme élémentaire de conscience citoyenne. » C’est cette primauté de la solidarité sociétale qu’Auguste Comte, le père fondateur du positivisme, a mis en exergue avec la notion d’« unité sociocratique », et en invitant à concevoir « La masse de l’espèce humaine… comme constituant, à tous égards, et de plus en plus, ou dans l’ordre des lieux ou dans celui des temps, une immense et éternelle unité sociale, dont les divers organes individuels ou nationaux, unis sans cesse par une intime et universelle solidarité… concourent inévitablement… à l’évolution fondamentale de l’humanité » (Cours de philosophie positive).
Opportunité environnementale en seconde lieu : chaque jour nous avons la preuve que la qualité environnementale est en mesure de s’améliorer rapidement grâce à cette pause qui milite par conséquent en faveur d’une accélération de la transition écologique lors de la reprise.
Economique enfin : le début d’une prise de conscience des limites d’une division du travail poussée à l’extrême de la mondialisation et de l’intérêt de relocalisations locales dans tous les secteurs; d’autre part avec la formidable accélération de la digitalisation de nos entreprises et de notre système éducatif dans une vision d’intelligence humaine alliée (et non pas opposée) à une intelligence artificielle. La situation mondiale exceptionnelle que nous vivons actuellement accentue en effet la place du digital dans la vie de milliards de citoyens : mode de travail, mode de formation, accès aux services de distribution, mode de communication avec ses proches…le digital est central, permet un maintien du lien social et sécurise une partie de l’activité économique tout en permettant de continuer à améliorer ses compétences . Tous les secteurs en sont aujourd’hui convaincus et leur transformation digitale aura fait un bond en avant prodigieux, ce qui profitera à un nouvel élan économique lors de la sortie de cette crise.
Science post-normale pour une communauté élargie et active
De gouvernance délibérative telle que les tenants de la « science post-normale » viennent de la proposer collectivement dans une tribune reprise par divers vecteurs au niveau international.
Dans cette perspective c’est chacun qui intègre une communauté élargie de paires, dans la mesure où vaincre l’épidémie du virus dépend du comportement des populations et des individus partout dans le monde. Cette communauté élargie de paires est à l’opposé d’une stratégie technocrate fondée sur des chiffres et des algorithmes. Il s’agit d’une communauté où toutes les parties prenantes ont leur mot à dire, depuis les experts des diverses disciplines scientifiques, jusqu’aux lobbies et activistes, lanceurs d’alerte, journalistes d’investigation et citoyens.
Sortir (enfin) des ténèbres de l’économie carbonée ?
N’oublions pas qu’il aura fallu la grande peste à la fin de moyen âge pour que l’Europe Occidentale sorte enfin des ténèbres de la seconde partie du moyen âge et connaisse une nouvelle trajectoire économique, sociale et culturelle, celle de la Renaissance et de la Réforme !
Alors plutôt que de sombrer dans l’angoisse et s’étioler face au fatras contradictoire et anxiogène de certains médias, qui du point de vue symbolique pourraient être comparés au véhicule de la Terreur au même titre que l’Ankou breton est le messager de la Mort, ouvrons grands les yeux et les oreilles pour écouter ces signaux faibles qui nous viennent de toute part. Ils nous donnent les clés pour faire un bond considérable au niveau mondial vers cette formidable nouvelle aventure humaine qui est celle du développement durable.