Vers un Revenu National SoutenableÂ
Fin janvier 2015, lâAssemblĂ©e Nationale a votĂ© la proposition dâune loi demandant au gouvernement de produire, chaque annĂ©e, un rapport de la performance du pays en termes dâindicateurs, autres que le seul PNB. Ce projet de loi sâattache donc « à la prise en compte des nouveaux indicateurs de richesse dans la dĂ©finition des politiques publiques (n°2258) ».
Selon la rapporteure de cette proposition de loi (Mme Eva Sas), « Lâadoption de la prĂ©sente proposition de loi donnerait lâoccasion Ă la France de rejoindre le groupe de pays pionniers en matiĂšre de nouveaux indicateurs de richesse. Elle pourrait aussi reprendre le rĂŽle de pionniĂšre quâelle a perdu aprĂšs la mise en place de la commission Stiglitz-Sen-Fitoussi en 2008 en encourageant lâadoption de nouveaux indicateurs de soutenabilitĂ© et de dĂ©veloppement durable Ă lâoccasion de la ConfĂ©rence de Paris sur le climat (COP21) qui se tiendra du 30 novembre au 11 dĂ©cembre 2015. »
Cette proposition, qui nâa pas Ă©tĂ© commentĂ©e, revĂȘt pourtant une importance cruciale. Elle renoue avec des dĂ©bats amorcĂ©s dans les annĂ©es 1970 qui dĂ©montraient que les modĂšles Ă©conomiques de croissance, mesurĂ©e en termes de formation de capital et de PNB, Ă©taient inadaptĂ©s face Ă la persistance de la pauvretĂ©, de lâaggravation des inĂ©galitĂ©s sociales, de la dĂ©gradation de l’environnement (dont, la qualitĂ© des ressources en eau, la dĂ©gradation de sols productifs, la perte de biodiversitĂ©, les dĂ©chets radioactifs et, le dĂ©fi du changement climatiqueâŠ). En tĂ©moignent aussi les travaux durant les annĂ©es 1970 sur lâĂ©codĂ©veloppement, ou encore, dans les annĂ©es 1980 et 1990 sur le dĂ©veloppement durable et les tentatives de dĂ©finir un Revenu National Soutenable.
Le dĂ©veloppement durable, que dâaucuns qualifient aussi de croissance verte sans vraiment en donner une dĂ©finition prĂ©cise , se veut tout dâabord, un « trend » dâactivitĂ©s Ă©conomiques respectueux de notre environnement biophysique. Il constitue, en quelque sorte, un pari sur lâopportunitĂ© « win-win » dâobtenir, Ă la fois, une « croissance Ă©conomique » au sens traditionnel (Ă savoir, croissance annuelle du PNB national ou par tĂȘte) et, une amĂ©lioration relative ou absolue des indicateurs de qualitĂ© et de la durabilitĂ© environnementale.
Le dĂ©veloppement durable se doit aussi dâĂȘtre socialement inclusif. Il revendique une « solidarité » non seulement, avec les gĂ©nĂ©rations futures (solidaritĂ© intergĂ©nĂ©rationnelle) mais, aussi avec les gĂ©nĂ©rations prĂ©sentes (solidaritĂ© intra-gĂ©nĂ©rationnelle) impliquant la crĂ©ation dâemplois de qualitĂ© en vue dâune insertion Ă©conomique et sociale. Cela conduit, notamment pour les relations Nord-Sud, Ă une reconnaissance particuliĂšre des dĂ©fis dâinclusion et de solidaritĂ© Ă lâĂ©gard des composantes de la sociĂ©tĂ© les plus dĂ©munies ou les plus vulnĂ©rables.
En bref, cela implique quatre axes de performance à réconcilier, qui font du développement durable une vision à la fois de croissance économique, de gestion intégrée environnementale et de développement socialement soutenable :
- Création de valeur ajoutée dans les marchés ;
- Entretien du patrimoine commun (actifs environnementaux et leurs capacités) ;
- Solidarité envers les populations vulnérables ou défavorisées ;
- Durabilité des résultats dans le temps.
La recherche dâindicateurs de performance Ă©conomique adaptĂ©s Ă cette vision constitue ainsi une vĂ©ritable quĂȘte depuis des dĂ©cennies. Si le PNB et le PNB par tĂȘte avaient dĂ©jĂ Ă©tĂ© dĂ©noncĂ©s depuis les annĂ©es 1950 comme insuffisants, voire trompeurs pour mesurer le progrĂšs des sociĂ©tĂ©s, de nombreuses tentatives se sont faits jour depuis les annĂ©es 1990 pour dĂ©finir et estimer des indicateurs de « PNB  ajustĂ©s » prenant en compte les dĂ©gradations environnementales ou sociĂ©tales ou encore des indicateurs complĂ©tant le PNB.
Ces annĂ©es de travail, qui ont rĂ©uni statisticiens, scientifiques, Ă©conomistes, militants de lâĂ©cologie et de la justice environnementale, parfois philosophes et sociologues, dans de nombreux projets et programmes, nâont pas permis un consensus sur les « bons » indicateurs ni pour ajuster, ni pour complĂ©ter, ni pour dĂ©placer le fameux PNB. Elles ont nĂ©anmoins contribuĂ© progressivement Ă un climat social, politique et institutionnel dâacceptation du besoin de la mobilisation dâune pluralitĂ© dâindicateurs comme complĂ©mentaires (et non pas exclusifs).
LâopportunitĂ© de trouver enfin une application politique semble donc poindre aujourdâhui ! Lâinitiative lĂ©gislative française commentĂ©e ci-dessus, arrive en effet dans le sillage de nombreux programmes de dĂ©veloppement et dâexpĂ©rimentation dâindicateurs du dĂ©veloppement durable dans le monde entier et notamment au niveau europĂ©en.
Ces travaux insistent, de plus en plus, sur la nĂ©cessitĂ© dâune vision intĂ©grĂ©e dans lâobservation et le pilotage des stratĂ©gies du dĂ©veloppement Ă©conomique, social et environnemental. Ils expliquent aussi le besoin de mĂ©canismes de gouvernance adaptĂ©s et de nouveaux instruments de mesure de performance multicritĂšres Ă diffĂ©rentes Ă©chelles, afin dâorienter le choix de technologies, dâinvestissements et dâinstruments politiques.
A ce propos doit ĂȘtre soulignĂ©e la journĂ©e de « Thematic Policy Workshops » organisĂ©e Ă Bruxelles le mercredi 11 mars 2015 dans le cadre du projet europĂ©en NETGREEN [1].
Le projet NETGREEN, financĂ© par le 7Ăšme Programme Cadre de la Commission europĂ©enne, sâadresse dâune part au concept mĂȘme de lâĂ©conomie verte et, dâautre part Ă la sĂ©lection dâindicateurs en fonction du contexte dâanalyse et dâĂ©valuation. La question des indicateurs pour lâĂ©conomie verte a Ă©tĂ© abondamment abordĂ©e au cours des Thematic Policy Workshops organisĂ©e au CEPS (Bruxelles) le mercredi 11 mars 2015.
Cette journĂ©e NETGREEN se dĂ©roulait, avec une centaine de participants, autour de deux thĂšmes, « Maximiser lâefficacitĂ© dâutilisation de ressources au sein de lâĂ©conomie europĂ©enne » et, « Eco-innovation et opportunitĂ©s pour lâĂ©conomie europĂ©enne ». Lâobjectif, pour les partenaires du projet NETGREEN, Ă©tait de prĂ©senter une plateforme web interactive ( www.Measuring-Progress.eu bientĂŽt disponible) qui aura pour fonction dâorienter les utilisateurs dans la dĂ©couverte de la variĂ©tĂ© dâindicateurs permettant de caractĂ©riser une Ă©conomie verte et la sĂ©lection, en connaissance de cause, des indicateurs adaptĂ©s au contexte et aux objectifs de l’initiative en question.
Chaque sĂ©ance du workshop bĂ©nĂ©ficiait dâune ouverture thĂ©matique par un responsable de programme de la Commission europĂ©enne, suivi dâune courte prĂ©sentation par Lucas Porsch (Senior Fellow Ecologic Institute, coordinateur de NETGREEN ). Ensuite, un ensemble de courtes prĂ©sentations en table ronde, permettait d’aborder les concepts clĂ©s, les projets et programmes (publics et privĂ©s) comme lâactualitĂ© du contexte politique europĂ©en et territorial.
La fin de la domination du PNB, comme seule rĂ©fĂ©rence au dĂ©veloppement, semble dĂ©sormais en marcheâŠ.signe de plus dâune mutation vers le dĂ©veloppement durable ?