Economie Circulaire et créations d’emplois : le chaînon manquant ?

Go Circular CCBY Zeronaut.be via Flickr
Go Circular CCBY Zeronaut.be via Flickr

 

La fixation d’objectifs de réduction des gaz à effet de serre pour contenir l’accroissement des températures moyennes de la planète à 2°C d’ici à la fin du siècle, doit faire l’objet d’un accord indispensable lors de la COP 21, en décembre prochain à Paris.

Afin d’y parvenir, en plus des éco-innovations et des innovations responsables , une profonde transformation structurelle de nos modèles de production et de consommation semble inéluctable.

En d’autres termes, nous devons nous orienter vers une économie décarbonée abandonnant le modèle linéaire traditionnelle (extraire, produire, consommer, jeter). Ce dernier, non seulement consomme trop de ressources naturelles en voie de raréfaction au moment où la population mondiale ne cesse d’augmenter ; mais aussi rejette trop d’externalités négatives sur l’environnement et, par cela, sur des générations futures.

Pour beaucoup, ce changement structurel s’effectue par le biais de l’économie circulaire. Enracinée dans l’analyse des systèmes ouverts informée par une lecture des principes de la thermodynamique, cette vision, remise au goût du jour, date de la fin des années 1960 et début des années 1970. Divers auteurs connus comme des précurseurs de l’économie écologique —Daly, Ayres et Knesse, Victor, et Georgescu-Roegen (parmi d’autres)[1] — avaient développé des cadres d’analyse en termes de bilans matière et énergétique de l’interdépendance de l’économie et son environnement biophysique. Ils mettaient en évidence, d’une part l’irréversibilité dite « entropique » de la dissipation d’énergie par des processus économiques et, d’autre part, l’opportunité des « synergies » entre processus économiques et environnementaux pour le recyclage matériel au sein de la Biosphère.[2]

Si, suite aux deux crises pétrolières de 1973 et 1979, les années 1980 étaient dominées par des questions énergétiques, la question des flux de matériaux a connu un regain d’intérêt dans les années 1990. Les travaux, en Allemagne, du Wuppertal Institute sur l’indicateur MIPS (Material Inputs Per Service unit) ont ouvert la voie à l’estimation en termes de masse des « Footprint » (besoins directes et indirectes) des processus et des produits de l’activité économique. Le débat évolue alors en termes de l’opportunité du recyclage pour une réduction des « flux » matériels entre économie et environnement. Le bilan matériel des activités économique est désormais considéré comme l’un des volets désirables, voire nécessaires, d’une comptabilité intégrée environnementale et économique d’une économie nationale.

Aujourd’hui, l’économie circulaire, qui dispose en France de son Institut, connait davantage de succès et s’est même invité au dernier Forum Mondial de Davos.

L’économie circulaire repose sur le principe général, selon lequel les déchets des uns peuvent devenir la matière première des autres. L’économie circulaire concerne tant l’éco-conception que le recyclage, ou l’écologie industrielle et l’économie de fonctionnalité. Elle obéit à la règle des 4 R (réduire, réemployer, réutiliser, recycler) et rend plus efficace la consommation des ressources en diminuant ainsi les quantités de déchets produites et les impacts négatifs sur l’environnement.

  • Dans le cas d’un recyclage « industriel », par le biais des processus économiques réunis en boucle, l’économie circulaire entraine une réduction de la consommation des ressources naturelles, de la consommation d’énergie et, des émissions nettes de déchets.
  • Dans le cas d’un recyclage en « économie écologique », par l’intégration des processus de la biosphère pour former des boucles vertueuses (par exemple, le captage de CO2 par les plantes pour une exploitation ultérieure bioénergétique), l’économie circulaire entraine une réduction de la consommation des ressources naturelles épuisables par déplacement vers les systèmes environnementales, une réduction de la consommation des énergies fossiles épuisables et, une réduction des émissions nettes de déchets matériels.

Les bénéfices de l’économie circulaire pour les objectifs climatiques sont indéniables : en Europe, elle permettrait la réduction de plus de 15 % du total des émissions annuelles des gaz à effet de serre (dont le CO2).

En plus de son aspect favorable à l’équilibre climatique, l’économie circulaire offre aussi, pour ses tenants, une réponse à d’autres défis : la réduction de consommation de matières premières et la sécurisation de l’approvisionnement et donc de la compétitivité des entreprises, ainsi que de la création de nombreux emplois qualifiés non délocalisés.

Les grandes lignes de l’application de l’économie circulaire ne sont pas nouvelles ! on ré-utilise et réemploie depuis des siècles (à l’image des « biffins » depuis plus de deux siècles ou d’Emmaüs créé il y a 60 ans).[3] Ce qui est nouveau, c’est que de nombreux grands acteurs tant publics que privés, s’en emparent.

Le projet Mainstream à titre d’exemple, constitue une initiative mondiale réunissant un panel de dirigeants d’entreprises dont l’objectif est de renforcer ensemble les innovations du secteur privé pour développer l’économie circulaire. La Fondation Ellen McArthur, le World Economic Forum et McKinsey sont à l’origine de ce projet. Selon ces derniers, le modèle d’économie circulaire pourrait permettre à l’industrie d’économiser jusqu’à un trillion de dollars par an grâce à des économies de matériaux. Antoine Frérot, le PDG de Véolia, estime, quant à lui que grâce à l’économie circulaire, l’Europe pourrait réduire ses consommations de matières premières de 20 % et créer entre 1,4 et 2,8 millions d’emplois.

Pourtant, la mise en œuvre de l’économie circulaire, qui pourrait constituer le nouveau « paradigme » d’un développement durable, ne fait pas encore l’unanimité.

Revenons sur les initiatives actuellement débattues au niveau de la Commission européenne.

 

La Commission avait adopté le 2 juillet 2014, des propositions qui avaient pour ambition de convertir l’Europe à une économie plus circulaire et, plus particulièrement, de promouvoir le recyclage dans les États membres.

« … La réalisation des nouveaux objectifs en matière de déchets permettrait de créer 580 000 nouveaux emplois par rapport aux chiffres actuels, tout en renforçant la compétitivité de l’Europe et en réduisant la demande de ressources rares et onéreuses. Les propositions prévoient également une diminution des incidences sur l’environnement et une réduction des émissions de gaz à effet de serre. Elles appellent les Européens à recycler 70 % des déchets municipaux et 80 % des déchets d’emballages d’ici à 2030, et interdiront la mise en décharge des déchets recyclables à compter de 2025. Un objectif de réduction des déchets marins est également prévu, ainsi que des objectifs de réduction du gaspillage alimentaire. »

La révision à la hausse par la Commission européenne des objectifs relatifs aux déchets fixés par les directives déjà existantes, s’inscrit donc dans une démarche bien plus large, de transition fondamentale entre un modèle économique linéaire et une économie plus circulaire où le réemploi, la réparation et le recyclage deviennent la norme. Cela nécessite une réorientation sur plusieurs points :

  • D’une part, de favoriser, dès les premières phases de l’activité économique, les choix de ressources premières et des procédés de transformation facilitant par anticipation le réemploi et le recyclage.
  • D’autre part, de réduire (idéalement « vers zéro » mais, en réalité dans le respect de l’irréversibilité entropique exprimée dans la 2ème loi de la thermodynamique) la production des « déchets ultimes » nuisibles. En d’autres termes, réduire autant que possible la création de produits et de sous-produits non réutilisables mais encore actifs et capables de nuire à la santé et/ou de provoquer des perturbations dans le fonctionnement des systèmes écologiques et physiques.

Il est à noter que, la « circularité » recherchée se fera tant par le biais des processus de la biosphère (la célèbre ‘symbiose’ entre l’économie humaine et le reste de la nature prônée depuis les années 1970 par des avocats des énergies douces et de l’état stationnaire uo la croissance zéro…) que par processus de tri et de réemploi industriel.

En effet, en ce qui concerne la fonction environnementale de « puits », l’objectif n’est pas de réduire à zéro les rejets de l’économie dans l’environnement mais, de réduire les rejets nuisibles tout en augmentant la qualité des rejets « utiles » (parfois avec des « retours » sur une très longue durée).

Eco circulaire

Selon les affirmations de la Commission européenne en juillet 2014, en utilisant plus efficacement et plus longtemps les matériaux à des fins productives et en les réutilisant, on devrait également améliorer la compétitivité des économies européennes sur la scène mondiale. Par conséquent une utilisation plus efficace des ressources peut déboucher sur de nouvelles perspectives de croissance et d’emplois. Ainsi par exemple, Monsieur Janez Potočnik, commissaire chargé de l’environnement, déclarait en juillet 2014: «Nous fonctionnons avec des systèmes économiques linéaires hérités du 19e siècle dans le monde du 21e siècle qui est celui des économies émergentes, des millions de nouveaux consommateurs des classes moyennes et des marchés interconnectés. Si nous voulons être compétitifs, nous devons tirer le meilleur parti de nos ressources, et cela implique de les recycler pour pouvoir les réutiliser à des fins productives et non de les mettre en décharge comme des déchets. Le passage à une économie circulaire n’est pas seulement possible; il sera aussi bénéfique, mais la transition ne se fera pas pour autant en l’absence de mesures appropriées. Les objectifs que nous proposons pour 2030 sont une façon d’agir aujourd’hui pour accélérer la transition vers une économie circulaire et exploiter les débouchés commerciaux et les possibilités d’emplois qu’elle offre.»

Toutefois, le lien entre, d’une part, efficacité dans l’utilisation des ressources environnementales et les démarches de réemploi et de recyclage et ; d’autre part, la création d’emplois, n’est pas mécanique. La synergie proclamée par les protagonistes de l’économie circulaire reste, en quelque sorte, encore à démontrer.

C’est pourquoi, en juillet 2014 en parallèle à cette initiative d’économie circulaire, deux autres Communications de la Commission européenne ont été proposées :Communication from the Commission to the European Parliament, the Council, the European Economic and Social Committee and the Committee of the Regions – Green Action Plan for SMEs – Enabling SMEs to turn environmental challenges into business opportunities COM(2014) 440 final et, Communication from the Commission to the Council, the European Parliament, the European Economic and Social Committee and the Committee of the Regions – Green Employment Initiative: Tapping into the job creation potential of the green economy COM(2014) 446 final.

La Commission européenne y souligne les défis pour l’emploi que représente la transition annoncée vers une économie verte et plus « circulaire ». Le cadre intégré décrit dans la « Green Employment Initiative » et dans le « Green Action Plan for SME’s » devait permettre, notamment, d’anticiper et d’élaborer des politiques qui aident les ‘travailleurs’ à s’adapter aux changements structurels; et d’assurer de bonnes transitions sur le marché du travail en renforçant la gouvernance et les initiatives basées sur le partenariat.

La volonté de la Commission d’atteindre simultanément les objectifs de création d’emplois et de performance environnementale, paraît claire dans cet ensemble de communications de mi-2014.

Or, à l’issue d’un périple politique qui a suscité beaucoup de débats, la nouvelle Commission sous la présidence de Jean-Claude Juncker, annonçait en décembre 2014 la décision de passer à la « trappe » le « paquet » en faveur de l’économie circulaire datant de juillet 2014, avec la promesse de le remplacer durant l’année 2015 par quelque chose de « plus ambitieux »….

Les priorités de la nouvelle Commission européenne, entre lutte contre le changement climatique, « simplification », maîtrise dez déchets, création d’emplois et, compétitivité des entreprises (etc.), seront donc à évaluer pendant les prochains mois de l’année 2015.

En attendant, la question en quoi une économie circulaire va ou devrait créer un grand nombre d’emplois, reste curieusement peu traitée, alors qu’il s’agit probablement de la clé de réussite en faveur d’une législation et d’actions européennes ambitieuses en faveur de l’économie circulaire.

Il serait donc cohérent d’améliorer la capacité d’observation et de mesure du progrès en faveur de l’économie circulaire en termes de création d’emplois. Afin de répondre à ce défi, je ne peux que suggérer la création d’un observatoire de métiers associés à l’économie circulaire.

Un tel dispositif nous aiderait sans doute à dépasser les « polémiques circulaires » et à développer une meilleure intelligence collective sur les vrais enjeux et mécanismes d’une économie aussi bien inclusive et socialement solidaire que « verte ».

 

[1] Pour quelques-unes des références classiques: DALY, Herman (1968), “On Economics as a Life Science”, Journal of Political Economics 76: 392-406. AYRES, R.U. & KNEESE, A.V (1969), “Production, Consumption and externalities”, American Economic Review, Vol.59, pp.282-297. AYRES, R.U. (1978), Resources, Environment, and Economics: Applications of the Materials/Energy Balance Principle, Wiley, New York. VICTOR, P.A (1972), Pollution, Economy and the Environment, University of Toronto Press (reprinted Allen & Unwin, London). GEORGESCU-ROEGEN, Nicholas (1971), The Entropy Law and the Economic Process, Harvard University Press; et, (1979) “Energy Analysis and Economic Valuation”, Southern Economic Journal 45: 1023-1058.

[2] Ces thématiques sont ensuite traitées de manière systématique par l’économie écologique naissante. Pour quelques entrées à la littérature, voir : PASSET, René (1979), L’Economie et le Vivant, Payot, Paris. O’CONNOR, Martin (1991), “Entropy, Structure, and Organisational Change”, Ecological Economics 3: 95‑122. FAUCHEUX, S. & M. O’CONNOR (eds., 1998), Valuation for Sustainable Development: Methods and Policy Indicators, Edward Elgar, Cheltenham.

[3]  A noter qu’un Britannique, P.L. SIMMONDS spéculait déjà en 1873 sur l’opportunité d’une économie circulaire industrielle: Waste Products and Undeveloped Substances: A synopsis of progress made in their economic utilisation in the last quarter of a century at home and abroad, Robert Hardwicke, London. Cette réflexion fut reprise et élargie à l’échelle de la Biosphère, plus d’un siècle plus tard, par M. O’CONNOR (1994) dans une discussion informée par la thermodynamique: “Entropy, liberty and catastrophe: on the physics and metaphysics of waste disposal”, pp.119-181 in P. Burley & J. Foster (eds., 1994), Economics and Thermodynamics: New Perspectives on Economic Analysis, Kluwer, Dordrecht.

 

Autres sources relatives à l’économie circulaire: 

Commission européenne Towards a circular economy: A zero waste programme for Europe  (COM/2014/0398 final/2)

L’Economie Circulaire : connecter, créer et conserver la valeur

 

Sur l’annonce de Frans Timmermans (le 16 décembre 2014) et le controverse depuis, voir, par exemple: 

http://www.euractiv.com/sections/sustainable-dev/circular-economy-package-be-ditched-and-re-tabled-310866

http://www.zerowasteeurope.eu/

http://www.ciwm-journal.co.uk/archives/12599