Paris 2015 et COP21, l’opportunité de passer des éco-innovations aux innovations responsables et durables ?

Le compteur intelligent Linky
Le compteur intelligent Linky

 

Les innovations en faveur de la lutte contre les changements climatiques, et plus largement en faveur du développement durable, sont à l’honneur en cette année de Paris Climat 2015. Pas une semaine sans qu’on assiste à un salon ou à un séminaire sur la question. Et c’est tant mieux car on parle enfin de solutions !. Ne serait ce qu’à Paris, se tient une pléthore d’initiatives et cela bien avant que ne débute le calendrier officiel des évènements nationaux et internationaux de la COP 21. Ainsi a eu lieu du 18 au 20 Mars 2015 à Paris, le salon Ecobat, dédié aux « solutions pour accompagner le secteur du bâtiment dans sa mutation vers un mieux bâtir ». Au cours de cet évènement s’est déroulé un forum « Ecobat innovations » où ont été présentées et discutées des innovations autour de 4 pôles : Energie et bâtiment (ENR, ECS, chauffage, ventilation), Matériaux et Systèmes Constructifs (traditionnels ou biosourcés), Bois et Bâti (Composants et système constructifs bois) ; Ville durable (conception, aménagement, construction) (mettre le lien). Les 25 et 26 Avril prochains est proposé, au CNIT à la Défense, le premier salon du BIM (Building Information Modelling) où de nombreuses innovations, tant sur la conception de bâtiments intelligents et efficaces énergétiquement, que sur la conception intelligente de ces mêmes bâtiments seront exposées. Le numérique et le digital dans la conception et la gestion des bâtiments de demain y auront une place de choix car il font figure de solutions à la lutte contre les changements climatiques. Signalons encore au cours des prochaines semaines, la conférence intitulée « Le Grand Paris-réinventons la ville de demain » proposée à l’université Pierre et Marie Curie le 7 Avril prochain où il s’agit de présenter aux étudiants et au grand public les futurs métiers du Grand Paris dans les domaines de l’infrastructure verte et connectée.

Toute cette activité bénéfique autour des innovations comme réponse aux défis climatiques et à la transition vers le développement durable mérite qu’on s’attarde sur la question même de l’innovation. De quelle (s) innovations (s) parle t-on ?

Les innovations dont il est question relèvent de ce qu’il convenu d’appeler depuis les années 1990 les éco-innovations consistant à réduire ou éviter l’impact des activités humaines sur l’environnement et à développer la production et l’utilisation des énergies renouvelables.

«L’Eco-innovation est la production, l’assimilation ou l’exploitation d’un produit, d’un procédé de production, d’un service, ou d’un outil managérial qui est nouveau pour l’organisation qui le développe ou l’adapte, et qui conduit, tout au long de son cycle de vie, à la réduction des risques environnementaux, de la pollution, et des autres impacts négatifs de l’utilisation de ressources (y compris de l’énergie) comparativement à d’autres alternatives pertinentes» (1).

Les éco-innovations sont désormais au cœur des questions de compétitivité. Elles sont devenues dès le début des années 2000 des domaines d’excellence appréhendés par l’espace européen de la recherche (voir notamment le 6ème PCRD). Le Conseil européen a reconnu en 2004 que les éco-innovations contribuent positivement aux objectifs de la stratégie de Lisbonne visant à accroître la compétitivité européenne. Aux États-Unis, les « Critical Technologies », initiative de la Rand Corporation intègre, dès 1998, les éco-innovations des technologies critiques : « est considérée comme critique toute technologie essentielle au développement de long terme de la sécurité nationale ou de la propriété économique » (Rand, 1998). La plupart des exercices de prospective menés dans tous les pays occidentaux à cette époque viennent d’ailleurs confirmer qu’après 2010, on assistera à une explosion des éco-innovations (2).

Et ces travaux de prospective avaient vu juste ! C’est bien dans ce contexte que se situent aujourd’hui toutes ces manifestations qui présentent un très grand nombre d’éco-innovations dont les enjeux économiques ne doivent pas être sous-estimés. A titre d’exemple, le marché des systèmes d’information pour la gestion de l’énergie qui était de 1,76 milliards de dollars en 2006, approchera 30 milliards en 2015. Les services associés à ce marché, qui représentaient 16 milliards de dollars en 2006, devraient atteindre 30 milliards en 2015. Le marché mondial des « smart grids » est appelé à se développer fortement au cours des prochaines années : il devrait croître en moyenne de 20% par an entre 2015 et 2020 pour atteindre 22 milliard de dollars. La croissance sera plus rapide dans les pays émergents en raison d’une très forte demande électrique. La Chine entend investir plus de 70 milliards de dollars dans le développement des « smart grids » entre 2010 et 2020 (Xerfi, 2012). D’après Pike Research (2011), le nombre de compteurs intelligents en Asie passera de 52,8 millions en 2010 à 350 millions en 2016, soit une hausse de 37% par an. Si la croissance dans les économies avancées sera moins dynamique, il n’empêche que le nombre de compteurs intelligents en Europe devrait atteindre 111, 4 millions fin 2015 (Berg Insight, 2010). Selon une autre évaluation de Capgemini (2012), le marché des « smard grids » d’ici 2030 représentera environ 350 milliards d’euros aux Etats Unis, 50 milliards au Canada, 250 milliards en Europe, de 100 à 500 milliards d’euros en Chine et le double environ pour toute l’Asie incluant le Japon et l’Inde.

Il importe aussi de rappeler que les éco-innovations peuvent prendre plusieurs formes car elles concernent à la fois des produits et des technologies, une écologie industrielle et une gestion environnementale. Elles impliquent un contenu varié et une grande mobilisation de connaissances, de services et de solutions organisationnelles.

 

C’est ainsi qu’on a été amené à privilégier trois grandes catégories d’éco-innovations,

Les éco-innovations intégrées plutôt que des éco-innovations adjointes

Il s’agit d’incorporer les caractéristiques environnementales dès la conception des produits et des procédés plutôt que de les ajouter en bout de chaîne (technologies de dépollution vs éco-conception).Ces éco-innovations cherchent réduire les inputs énergétiques, à favoriser l’utilisation de matières premières moins polluantes, la substitution des inputs polluants, la conception de produits réutilisables et/ou recyclables (ex : l’utilisation de biomatériaux), l’amélioration de la qualité totale par analyse du cycle de vie des produits et le développement de nouvelles méthodes de conception (éco-conception). Ces éco-innovations intégrées concernent non seulement des solutions techniques et matérielles, mais également des réponses en termes organisationnels et de conception. C’est notamment le principe de ce que l’on qualifie d’économie circulaire qui implique que les déchets soient recyclés dans la conception ou l’utilisation du produit final.

Des éco-innovations radicales (de rupture) plutôt que des éco-innovations incrémentales

Les éco-innovations incrémentales consistent à améliorer du point de vue écologique une technologie existante (les filtres à particules par ex). Les éco-innovations radicales sont porteuses de ruptures susceptibles de changer les modes de production, de consommation et de style de vie par le biais de nouvelles trajectoires technologiques. Elles nécessitent le plus souvent une recherche fondamentale plus importante et ne peuvent généralement être valorisées qu’à moyen ou long terme. Elles comportent une dimension importante d’incertitude compte tenu ses évolutions prévisibles de la réglementation ou du marché. Elles induisent en retour des retombées accrues en termes de compétitivité étant généralement à l’origine de nouveaux produits, services ou métiers. La chimie verte, les smart grid constituent des éco-innovations radicales.

La substitution de services aux produits peut être considérée comme une troisième catégorie d’éco-innovations, plus connue sous le vocable d’ « économie de la fonctionnalité » . Cette dernière consiste à remplacer la vente d’un produit par la vente d’un usage. La valeur d’un produit pour le consommateur réside dans la fonction. Les bénéfices qu’il retire de son utilisation se font en réponse à son besoin, et non dans la possession du produit en question. Les systèmes d’auto-partage, de vélo-partage en font par exemple partie, tout comme les services d’efficacité énergétique proposés par les grands groupes d’énergie à leurs clients.

Toutes ces catégories d’éco-innovations se conjuguent dans les solutions qui sont proposées aujourd’hui dans toutes les manifestations mentionnées au début de ce billet. Dans la mise en œuvre de la « smart city », ce sont tous les secteurs concernés par les éco-innovations qui sont mobilisés (produits et services). L’éco-mobilité en constitue un excellent exemple avec, à la fois l’utilisation croissante de biomatériaux dans la conception des véhicules (éco-innovation intégrée), des véhicules électriques et intelligents (éco-innovations de rupture) et l’amélioration de la performance de l’auto-partage ou plus généralement des services à la mobilité (remplacement d’un produit par un service). Ce constat peut s’étendre aux smart grids ou encore aux bâtiments intelligents.

Derrière l’objectif climatique premier de la COP 21 pour contenir le réchauffement global de la planète à un niveau inférieur à 2°C se pose plus fondamentalement la question de revoir les manières d’exploiter les matières premières, de produire, de transformer, de consommer, de travailler et de redistribuer. En d’autres termes, la seule dimension écologique retenue par les solutions de l’éco-innovation, sous toutes ses formes, doit être complétée par la dimension sociale qui avait été un temps oubliée. Il s’agit de renouer avec de véritables innovations en faveur du développement durable et de faire que les chaînes globales de valeur (CGV) de l’ensemble des industries et des services où se propagent les éco-innovations, sous toutes leurs formes, soient plus responsables à tous les niveaux, mondiaux comme locaux.

On rejoint alors la notion d’innovation responsable dont le succès est croissant. L’innovation responsable fait émerger 2 questions complémentaires,

Adéquation des besoins et des individus

Que sait-on vraiment de l’attente des individus ? A titre d’exemple les compteurs intelligents ne parviennent pas à se développer autant qu’on pouvait l’espérer. Pourquoi ? Les Pays Bas, depuis longtemps, tentent par exemple d’appréhender les attentes de leur population par des grands exercices de prospective concertatifs (Faucheux et Hue, 2000). Pourquoi ne pas y regarder de plus près  plutôt que de penser que le marketing se chargera d’écouler les innovations, y compris les éco-innovations ?

Par ailleurs même si le marketing a su, d’une façon générale, développer un certain nombre de techniques pour motiver des nouveaux besoins chez les individus grâce à de nombreuses innovations, faut-il toujours susciter de tels besoins ? Pour mémoire, nous avons eu en dix ans vingt générations d’Ipod …

Anticiper les conséquences directes et indirectes des éco innovations

Il s’agit par exemple de se demander quelles sont les conséquences sur la sécurité des données et le respect de la vie privée ou encore des risques de la fracture numérique des éco-innovations que constituent les smarts grids…ou plus largement les villes et les territoires intelligents (Faucheux , Hue, Nicolaï, 2010)

Une innovation, surtout si elle combine les caractéristiques précédemment décrites des éco-innovations d’aujourd’hui, a des conséquences qui dépassent le cadre d’où elle a émergé. Il s’avère indispensable d’intégrer l’idée que nous interagissons tous les uns avec les autres. Ainsi, le lancement d’une innovation peut avoir un impact sur ses clients, mais aussi sur les individus non-clients. Ce type de responsabilité nécessite une certaine maturité puisqu’il faut être capable de rendre des comptes à des individus qui paraissent a priori se trouver en dehors du champ de nos actes.

L’innovation responsable c’est faire preuve d’une sagesse quant à la nécessité certes d’innover et notamment d’éco-innover, mais pas à n’importe quel prix. L’éco-innovateur doit comprendre son rôle, son impact dans la cité, sur les citoyens.

Il est aujourd’hui indispensable d’interroger les processus d’éco-innovation depuis l’idée du nouveau produit ou service jusqu’à son monitoring lorsque celui-ci est sur le marché. Il s’avère déterminant de suivre un certain nombre de critères, de phases, de filtres permettant de revêtir une attitude responsable. Responsable, respondere en latin signifie « rendre compte de ses actes »…. L’innovateur doit rendre compte de ses actes pendant toute la phase d’élaboration de sa nouvelle idée jusqu’à ce qu’elle soit au contact des citoyens, et y compris pendant cette étape.

Il devient indispensable de comprendre que si l’éco-innovation est fondamentale pour la lutte contre les changements climatiques, elle doit aussi intégrer son impact sur la société, sur les citoyens, tout ce qui constitue son écosystème….Sinon elle ne constitue pas une éco-innovation en faveur du développement durable ! C’est à cette problématique que semble s’attacher le prochain salon Produrable qui tiendra sa huitième édition les 31 Mars et 1 er Avril prochain et qui se définit comme « l’évènement professionnel incontournable en faveur du développement durable et de la RSE en ajoutant «Il s’agit d’évaluer la performance de l’entreprise sous 3 angles indissociables : Environnement ; Social et Gouvernance ».

L’innovation responsable mobilise de nouvelles parties prenantes. Ce faisant, le modèle de création et de répartition de la valeur doit évoluer vers un modèle de ‘valeur partagée’ (Porter et Kramer, 2011).

Loin de promouvoir le « principe de précaution » qui peut nuire à la compétitivité dans un contexte mondialisé, c’est plutôt auprès du principe de responsabilité d’Hans Jonas qu’il faut se tourner : « Agis de façon que les effets de ton action soient compatibles avec la Permanence d’une vie authentiquement humaine sur terre«  ou tout simplement à la maxime que François Rabelais écrivait, il y a cinq siècle, « science sans conscience n’est que ruine de l’âme«  !

 

1 – (Kemp and Pearson, 2008 ; final report MEI project about measuring eco-innovation)

2 – Politique environnementale et politique technologique : vers une prospective concertative (Faucheux et Hue , NSS, vol 6, n03, 31-44,  2000).

Références dans le texte, Faucheux, Hue, Nicolaï, TIC et Développement Durable, De Boeck, 2010 & Porter et Kraemer, Creating Shared Value, Harvard Business Review, janvier-février 2011.